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histoire

L’exil des Belges en France durant la Première Guerre mondiale

11 novembre 2020 8 min. temps de lecture

En 1914, plus d’un million de Belges fuirent leur pays pour échapper aux combats et aux exactions de l’armée allemande. Ils trouvèrent refuge aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en France. Beaucoup rentrèrent chez eux une fois la guerre de mouvement terminée, mais ils furent tout de même près de 600 000 à vivre à l’étranger tout au long de la guerre. C’est en France qu’ils furent les plus nombreux (1).

À la mi-août 1914, les combats qui opposèrent les troupes allemandes, françaises et britanniques dans le Hainaut et la province de Namur donnèrent le signal d’un exode massif des populations civiles en direction de la France. À partir du 20 août 1914, villes et villages se vidèrent au gré des mouvements de troupes. Le 21 août, la population de Jemappes (près de Mons en Hainaut) prit la route en direction de Valenciennes. Trois jours plus tard, une grande partie des habitants de Bouffioulx (petit village près de Charleroi) franchirent la frontière pour se réfugier dans la région de Hirson (en Picardie). Ces Belges en fuite semèrent la panique tout au long de leur route en provoquant des départs dans tous les départements du nord de la France. Ils se mêlèrent dès lors à une foule immense qui se dirigea vers Paris et sa région.

Quelques semaines plus tard, plus au nord, l’exode vers la France reprit de plus belle. À la mi-octobre 1914, les Allemands entamèrent leur progression vers la côte. Gand tomba aux mains des Allemands le 12 octobre, Bruges le 14 et Ostende le 15. Partout, l’arrivée de l’ennemi fut précédée d’importants mouvements de populations. Une foule gigantesque se pressa le long des côtes. Le départ précipité du gouvernement vers Le Havre persuada les plus réticents de prendre la fuite. Ceux qui ne réussirent pas à embarquer sur un bateau à destination de l’Angleterre longèrent la mer à destination des Pays-Bas ou de la France. Des villes comme Dunkerque ou Calais furent prises d’assaut par un flot constant de fuyards. Tout au long du mois d’octobre, les autorités françaises s’empressèrent de les embarquer dans des trains ou des navires. Après avoir débarqué au port de La Pallice, près de La Rochelle, des milliers d’entre eux furent dirigés vers les départements du centre et du sud de la France.

Ces réfugiés de la première heure furent suivis par les populations évacuées des zones du front. À partir du printemps 1915 et jusqu’à la fin de la guerre, des convois furent régulièrement organisés afin de procéder à l’évacuation systématique des populations civiles de Belgique libre. À la fin de la guerre, plus de 325 000 réfugiés vivaient en France, essentiellement dans la région parisienne et en Normandie, à proximité du Havre, la ville où le gouvernement belge avait trouvé refuge.

La vie à l'arrière

Dans un premier temps, les Belges réfugiés en France jouirent d’un formidable élan de générosité. Bénéficiant pleinement du prestige de la Belgique, de son armée et de son roi, ils furent accueillis à bras ouverts. Les collectes organisées à leur profit à travers tout le pays drainèrent des sommes considérables. Partout on se pressa dans les gares et les ports pour leur apporter vivres et vêtements. La France décida même de leur accorder une allocation identique à celle de ses propres déplacés. Toutefois, la guerre s’éternisant, cette solidarité connut un net reflux. À partir de 1915, les réfugiés n’eurent souvent d’autre choix que de trouver un emploi. Dès lors, dans les champs ou les usines, ils prirent toute leur part de l’effort de guerre. Dans les campagnes, ils vinrent remplacer les Français appelés sous les drapeaux.

En 1917, plus de 15 000 Belges étaient actifs dans les régions les plus fertiles de France: Eure, Seine-et-Oise ou Oise. D’autres intégrèrent les vastes usines de guerre pour produire des munitions ou du matériel militaire en tous genres.

En 1917, plus de 22 000 Belges étaient répartis dans plus de 1 600 entreprises françaises. Près de la moitié d’entre eux travaillaient dans le secteur métallurgique, notamment dans les vastes usines de la banlieue parisienne. En 1917, par exemple, plus de 700 Belges travaillaient au sein des ateliers Renault, à Billancourt. D’autres intégrèrent des usines créées par des industriels belges en exil. Fondées par Alexandre Galopin, la Manufacture parisienne d’armes à Levallois et la Manufacture d’armes de Paris à Saint-Denis attirèrent un nombre croissant d’ouvriers venus essentiellement de la Fabrique nationale d’armes de Herstal, près de Liège.

Partout les Belges vinrent compenser les départs massifs causés par la mobilisation. Ils investirent à peu près tous les secteurs de l’économie française. Soixante-deux Belges furent engagés par la maison Hachette au cours de l’année 1915. En 1917, une enquête réalisée dans les grands magasins de la capitale française révéla la présence de 200 Belges occupés comme vendeurs, comptables, représentants de commerce ou demoiselles de magasin.

À Nantes et à Orléans, les wattmans belges se comptèrent par dizaines et au printemps 1917 une vingtaine de professeurs belges enseignaient dans les écoles primaires publiques de la Seine-Inférieure. Ce dernier département connut une augmentation constante de la présence belge tout au long de la guerre. Ce phénomène s’explique par la proximité des autorités belges en exil et des bases arrière de l’armée belge mais aussi par la création de vastes ateliers destinés à approvisionner l’armée en munitions.

Jusqu’à la fin de la guerre, la population ouvrière de ces «Établissements d’artillerie» fut essentiellement composée de militaires, mais la proportion de réfugiés ne cessa jamais d’y augmenter. En 1917, un millier de munitionnettes belges étaient actives dans ces usines. Chaque jour, des véhicules sillonnaient la région du Havre pour déposer ces ouvrières devant leurs ateliers avant de les reconduire chez elles, le soir venu.

L'image des réfugiés

En dépit de leur participation à l’effort de guerre, les réfugiés belges virent leur image se dégrader au fil des ans. Cette détérioration s’explique d’abord par le peu d’entrain de beaucoup à rejoindre le front. En Belgique, les lois militaires en vigueur en 1914 permettaient à des centaines de milliers de jeunes Belges de se soustraire à l’appel sous les drapeaux. Dans les villes et villages d’une France saignée à blanc, la présence de ces jeunes hommes échappant à l’épreuve du front fut parfois mal vécue. On n’hésita plus à parler de «tire-au-flanc».

À l’été 1916, la situation devint tellement alarmante que le gouvernement belge se résolut à procéder à la mobilisation générale de l’ensemble des jeunes hommes en exil âgés entre 18 et 40 ans. Avec l’aide des gendarmes français, les autorités belges n’hésitèrent plus à arrêter les plus réticents à faire leur devoir. Cette mobilisation massive permit de calmer la situation, mais elle ne réussit pas totalement à gommer une image d’embusqué dont les Belges auront souvent beaucoup de mal à se départir.

Installés dans le provisoire, l’esprit constamment tourné vers la Belgique, de nombreux Belges en exil cultivèrent leurs particularismes et leur identité

Jusqu’en 1918, l’immense majorité des réfugiés vécurent avec le ferme espoir de rentrer chez eux. Cela pesa sur leur manière d’appréhender leur exil. Installés dans le provisoire, l’esprit constamment tourné vers la Belgique et ceux qu’ils y avaient laissés, de nombreux Belges en exil s’attelèrent à cultiver leurs particularismes et leur identité. Ce repli ne fut pas toujours pour favoriser l’établissement de contacts suivis avec ceux qui les accueillaient. Souvent groupés entre eux, ils se mêlèrent peu aux populations locales. Partout où ce sera possible, les parents enverront leurs enfants dans des écoles belges financées par le gouvernement du Havre. Enfin, dans les campagnes, ils se réuniront autour d’aumôniers belges chargés de cultiver la foi catholique et les sentiments patriotiques des exilés.

En outre, les Belges n’échappèrent pas totalement à la vague de xénophobie qui balaya l’Europe en 1917. Certes, en France, la xénophobie ambiante se trouva des cibles plus faciles. Ce furent les Maghrébins et les Vietnamiens qui firent parfois figure de boucs émissaires. Reste qu’à partir de 1917 on remarqua une recrudescence des sentiments antibelges dans certaines régions. Des bagarres parfois violentes éclatèrent au Havre, où les insultes de «sales Boches» ou de «sales Belges» furent parfois proférées. À Rouen, il ne fut pas rare d’entendre des habitants se plaindre ouvertement de cette invasion de réfugiés flamands toujours prêts à travailler pour de bas salaires et qui, par leur simple présence, contribuaient à la hausse des loyers. Si ce phénomène resta limité, les Belges le durent à leur ardeur au travail et à leur réputation d’ouvriers infatigables.

L'heure du retour

Dès novembre 1918, un Office de rapatriement belge fut créé au Havre afin d’organiser le retour des réfugiés. Dans un premier temps, la destruction des lignes de chemin de fer et la pénurie de matériel ferroviaire ralentirent considérablement ses opérations. Dans les faits, le rapatriement ne s’amorça réellement qu’au printemps 1919. En juin 1919, les préfets furent tenus d’enregistrer les réfugiés présents dans leur département et de leur annoncer la fin du versement de toute aide à partir du 15 juillet 1919. Pour beaucoup, cette annonce coïncida avec l’heure du retour. Mais certains décidèrent de s’installer définitivement en France. En effet, ce pays est le seul dans lequel une partie non négligeable de la diaspora belge se fixa définitivement.

À partir du printemps 1919, ces ex-réfugiés furent rejoints par des milliers de fermiers flamands attirés par les prix peu élevés des terres agricoles françaises

En 1911, la France comptait 287 000 Belges. En 1921, ils étaient 349 000, soit une augmentation de 20 %. Sur ces 62 000 Belges supplémentaires, il est impossible de déterminer combien étaient d’anciens réfugiés. Toutefois, il ne fait aucun doute que ceux-ci contribuèrent à l’augmentation du nombre de Belges rencontrés en Normandie, dans la Somme ou les zones agricoles du sud de Paris. Parmi les fermiers qui avaient signé des baux agricoles, certains poursuivirent leurs activités au-delà de l’armistice. D’autres renoncèrent à rentrer après s’être mariés à quelqu’un du cru ou après avoir constaté la situation dramatique des régions dévastées. À partir du printemps 1919, ces ex-réfugiés furent rejoints par des milliers de fermiers flamands attirés par les prix peu élevés des terres agricoles françaises.

Dans la Belgique d’après-guerre, la mémoire de la guerre ne se construisit quasi exclusivement qu’autour des soldats du front et des victimes civiles tombées sous les balles allemandes. Dans ce contexte, l’expérience vécue par les ex-réfugiés fut rapidement reléguée dans l’oubli. Or force est de constater qu’ils contribuèrent eux aussi, pour une part importante, à la victoire finale.

Cet article a d’abord paru dans Septentrion no 1, 2014.

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Michaël Amara

chef de travaux principal aux Archives générales du Royaume et chef du Service Archives contemporaines

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